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Droit des marques Vs Collectivités territoriales : le cas Laguiole tranché

laguiole

La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 4 avril 2014, vient de confirmer le jugement du TGI de Paris du 13 septembre 2012 qui avait débouté la commune de Laguiole, célèbre pour ses couteaux et son fromage, de son action engagée à l’encontre de plusieurs acteurs économiques ayant déposé et exploitant des marques composées du nom de la Commune.

Un arrêt qui est l’occasion de rappeler les principes applicables dans les conflits opposant des collectivités territoriales aux marques reprenant leur nom.

Décryptage.

Tout d’abord, l’arrêt confirme que la commune de Laguiole était recevable en son action judiciaire dès lors que, comme toute collectivité territoriale, elle porte un nom qui constitue un élément d’identité assimilable au nom d’une personne physique et qu’elle a ainsi « qualité et intérêt à agir pour voir sanctionner les initiatives de tiers qui, par l’usage qu’ils en font, notamment à la faveur d’une exploitation commerciale qu’elle estime injustifiée, sont susceptibles de porter atteinte à sa réputation ou à son image de marque » (sic).

L’action de la Commune de Laguiole se fondait sur deux axes principaux :

– Les pratiques commerciales trompeuses des acteurs économiques utilisant le nom Laguiole à des fins commerciales

– La nullité de l’enregistrement de 26 marques comportant le terme Laguiole.

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Sur les pratiques commerciales trompeuses, poursuivies au visa des articles L. 120-1 et L. 121-1 du Code de la consommation, la Commune faisait valoir que l’usage fait du nom « Laguiole » par les différents acteurs économiques incriminés n’était pas celui d’une marque commerciale, mais d’une indication de provenance trompeuse, en raison des multiples références à l’histoire de la commune, à son environnement rural caractéristique, aux laguiolais célèbres, à son artisanat, à son savoir-faire et à des matériaux caractéristiques de la région de l’Aubrac.

Elle mettait également en avant sa notoriété en produisant notamment aux débats un sondage d’opinion réalisé par l’Institut TNS-Sofres révélant que 47% des personnes interrogées déclaraient avoir entendu parler de cette petite commune de 1300 âmes et que 92 % associaient ce nom à un artisanat traditionnel spécifique.

Toutefois la Cour d’appel de Paris confirme le débouté de la commune de Laguiole de ses demandes sur ce fondement pour deux raisons essentielles :

– D’une part, la Cour juge que l’article L. 121-1 du Code de la consommation exige, pour la qualification d’une pratique commerciale trompeuse, la création d’une confusion et non pas l’existence d’un simple risque de confusion.

L’appréciation de la tromperie doit donc s’apprécier in concreto et non pas in abstracto et la commune Laguiole a succombé en l’espèce à rapporter la preuve qu’un nombre significatif de consommateurs des produits litigieux auraient vu leur acte d’achat déterminé par les pratiques commerciales dénoncées (allégations, indications ou présentations erronées des produits quant à leurs caractéristiques essentielles.

– D’autre part, la Cour accueille avec la plus grande circonspection les résultats des sondages produits par la commune de Laguiole.

Elle considère que la réputation du terme « Laguiole » tient aux produits précis que sont le couteau et le fromage qui tient leur nom de celui de la commune et qu’il n’est pas démontré que pour la multitude de produits de toutes natures revêtus des marques comprenant le terme « Laguiole », les consommateurs aient été trompés sur leur origine en pensant qu’ils provenaient tous de la Commune de Laguiole.

Par ailleurs, s’agissant des couteaux, la Cour considère que la tromperie n’est pas plus démontrée dès lors que des émissions télévisées grand public ont conclu que 90% des couteaux Laguiole ne sont pas fabriqués dans l’Aveyron et qu’un des messages commerciaux incriminés contenait le rappel suivant : « il n’y a pas de vrais ou de faux Laguiole, il n’existe pas de vrais et de faux fabricants, des couteaux de qualité ou de valeur médiocre, des sites de production aussi bien à Laguiole depuis 1981, à Thiers que des sites étrangers, citons : l’Espagne, le Pakistan et la Chine » (sic).

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Sur la nullité des marques comprenant l’élément verbal « Laguiole », l’arrêt présente un premier intérêt sur le plan procédural en ce qu’il confirme la fin de non-recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée pour dire la commune de Laguiole irrecevable en ses demandes de nullité de cinq marques.

En effet, la nullité de ces marques avait déjà été demandée au visa des articles L. 711-3 et L. 714-3 du Code de la propriété intellectuelle dans un précédant litige opposant les mêmes parties et la Cour d’appel de Paris, par un arrêt passé en force de chose jugée le 3 novembre 1999, n’avait pas prononcé cette nullité.

La cour rappelle que peu importe le fondement visant à obtenir la nullité de l’enregistrement de ces marques, l’objet de ces actions reste le même ; raison pour laquelle, comme le rappelle la Cour, il est important pour le demandeur à l’action de présenter dès l’instance relative à la première demande l’ensemble des moyens de droit qu’il estime de nature à fonder celle-ci.

Sur le fond, tout se résume finalement à une incapacité de la Commune de Laguiole de démontrer la réalité des faits qu’elle dénonce.

Le caractère frauduleux du dépôt des marques incriminées n’est pas reconnu car, même si les déposants avaient nécessairement connaissance de l’existence de la Commune de Laguiole, cette dernière n’explicite pas les activités requérant l’usage du signe « Laguiole »dont pourrait prouver le dépôt de ces marques et de rapporter la preuve de l’intention de lui porter préjudice en l’empêchant, éventuellement de tirer profit de son nom en l’associant à des produits ou des services de piètre qualité.

En outre, la cour considère qu’elle ne peut valablement se prévaloir d’une atteinte à son nom, à son image et à sa renommée dès lors que sa réputation auprès du public tient à la fabrication, comme d’autres villes, d’un certain type de couteau, dont le nom « Laguiole » est devenu usuel et générique et d’une AOC pour un fromage et non pour d’autres produits et services.

Pareillement, la nullité des marques pour défaut de caractère distinctif n’est pas retenue par la Cour qui constate que les marques en présence sont toutes des marques complexes qui prises dans leur ensemble ne sauraient être perçues comme désignant la provenance géographique des produits qu’elles désignent.

La cour d’appel de Paris considère également que ces marques ne sont pas nulles pour déceptivité car, selon elle, il n’est nullement établi, comme l’impose l’arrêt Elizabeth Emanuel (CJCE, 30 mars 2006, Affaire C 259/04), l’existence d’une tromperie effective ou d’un risque suffisamment grave de tromperie du consommateur.

Enfin, la Cour rejette la demande de nullité pour atteinte au nom, à l’image et à la renommée de la commune de Laguiole, au visa de l’article L. 711-4 h) du Code de la propriété intellectuelle car la commune de Laguiole ne démontre pas que l’usage qui serait fait des marques litigieuses « s’inscrirait dans les missions de service public assignées à la collectivité territoriale, entraînerait un risque de confusion avec ses propres attributions, ou bien serait de nature à porter atteinte aux intérêts publics ou à préjudicier à ses administrés » (sic).

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A l’heure du « fabriqué en France », cet arrêt ne manque pas de susciter des remous au même titre que le jugement de première instance qui avait déjà amené le législateur à s’interroger sur la nécessité de renforcer la protection des collectivités territoriales face à ce type de risque et de commerce discutable de leur nom.

Gageons que les nouvelles mesures protectrices des collectivités territoriales édictées par la loi Hamon sur la consommation du 17 mars 2014 permettent aux collectivités territoriales de mieux maîtriser leur nom en leur offrant des outils efficaces de protection et de défense active.

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